Penser la notion de nature aujourd’hui c’est reconsidérer les oppositions: rural / urbain, nature ordinaire / remarquable, protection / friches. Les ressources rassemblées ici permettent de se constituer une culture ouverte et des positionnements afin de fonder leur dessein et leurs projets.
__ Augustin Berque, Le rural, le sauvage et l’urbain, Études rurales, 187, 2011, pages 51-61.
Ce texte est fondamental. Dans de nombreuses langues, les mots représentant la ruralité sont les mêmes que ceux qui représentent la sauvagerie : ye en chinois, agreste en espagnol, etc. Pourtant, depuis les défrichements néolithiques, la campagne s’était définie dans son opposition à la forêt. L’ambivalence rural/sauvage révèle que cette opposition a été ultérieurement oblitérée par une autre, définie par un regard venu de la ville. Dans les civilisations historiques, c’est cette seconde opposition, celle entre ville et campagne, qui est devenue structurante, au point que, dans la vision urbaine, nature et campagne ont tendu à se confondre. Plus tard encore, cette entité nouvelle, la nature-campagne, a été idéalisée par les foules de la métropole moderne, qui y ont recherché une naturalité perdue. Cette attirance a engendré dans les pays riches, vers le dernier tiers du XXe siècle, le phénomène de l’urbain diffus, dans lequel c’est une société pour l’essentiel urbaine qui désormais peuple l’espace rural. On s’interroge ici sur les fondements de cette “nature” qui est à la pointe de l’artifice.
__ Rémi Beau, « L’imaginaire des friches et la nature ordinaire», Dans Ruralité, nature et environnement (2017), pages 375 à 400
Dès lors qu’elle est apparue comme menacée et que la volonté de la protéger a vu le jour, c’est-à-dire dans la seconde moitié du xixe siècle, la nature a été peu à peu constituée comme une troisième catégorie se distinguant à la fois de l’urbain et du rural. Il s’agissait, en effet, de protéger cette nature belle et remarquable aussi bien contre les avancées de la ville que contre les activités agricoles qui tendaient à la dégrader. La protection de l’environnement a alors pris la forme de la sanctuarisation d’espaces naturels à l’écart de l’activité des hommes. Selon cette conception, la nature ne résidant véritablement que dans les espaces qui lui sont réservés, dans les parcs naturels ou dans les lieux reculés, elle ne serait plus une catégorie pertinente pour penser ni le rural, ni l’urbain, ni la relation entre ces deux derniers termes.
__ Rémi Beau, « Nature (ordinaire) » , dans Dominique Bourg et Alain Papaux (dir.) Dictionnaire de la pensée écologique, Paris, Presses Universitaires de France, 2015.
Apparu dans la pensée environnementale à la fin du XXe siècle, le concept de nature ordinaire accompagne un tournant dans l’histoire de la réflexion écologique en attirant l’attention sur des êtres et des systèmes naturels qui avaient été jusqu’alors assez largement délaissés.(…) Ce qui apparaît dans ces différentes façons de caractériser la nature ordinaire, c’est que le concept contient également l’idée d’une forme de rapport à la nature. La nature ordinaire est une nature dont les hommes font ou pourraient faire l’expérience au quotidien. C’est la nature des champs cultivés, des prairies, des jardins, des friches ou encore des bords de route et des lisières, c’est aussi la nature des villes. Autrement dit, c’est une nature qui se donne à penser dans les relations qu’elle entretient ou pourrait entretenir avec les hommes.
__ Rémi Beau, “Éthique de la nature ordinaire. Recherches philosophiques dans les champs, les friches et les jardins,” Paris, Editions de la Sorbonne, coll. « Philosophies pratiques », 2017, 342 p
Faut-il que la nature soit vierge ou intacte pour se voir reconnaître une valeur ? C’est l’idée que les premières philosophies environnementales, apparues dans les années 1970 et centrées sur la nature sauvage ou la notion de wilderness, semblaient conforter. Ce faisant, elles laissaient penser que, sur les terres habitées ou transformées par les hommes – qui couvrent la majorité de la surface de la planète -, il fallait renoncer à penser la nature.
Dépassant cette approche dualiste opposant préservationnistes et modernistes, l’auteur explore une voie médiane : contre l’idée que la nature résiderait seulement dans quelques lieux remarquables, il propose d’appréhender la gamme différenciée de nos rapports à la nature quotidienne. Car il y a bien de la nature dans les sociétés humaines et, en regard, nous faisons société avec elle. C’est en immersion dans les mondes agricoles et en avançant une description des pratiques multiples qui, dans les champs, les friches et les jardins, nous mettent en relation avec des partenaires non humains, que cet ouvrage propose donc l’élaboration d’une éthique de la nature ordinaire.
PAR FLORENCE SARANO
enseignante-chercheure TPCAU
ENSA MARSEILLE